Courtoisie : Robert Benodin...
Thèmes de l’Emission de la semaine
Orlando le 2 avril, 2010
Actualités Politiques : Grandes Lignes
A-t-on franchi le Rubicon le 31 mars, pour aller vers quoi ? Le temps sera-t-il un facteur atténuant quant aux promesses ? Préval circonviendra-t-il la rupture pour gérer la continuité ? La communauté internationale dont les engagements se chiffrent en termes de milliards, prône-t-elle la modernité ou la continuité ? Doit-on tenir compte de la déclaration du sénateur Christopher Dodd ? Voilà en résumé ce qui préoccupe !
La conférence internationale onusienne pour un nouvel avenir en Haïti a réussi ! Le nombre de pays qui y a participé et les promesses d’aide sont impressionnants ! Près de 10 milliards de dollars ont été promis par les bailleurs de fonds. Il nous faut cependant tenir compte des termes utilisés par les principaux acteurs à cette conférence pour articuler leurs points de vue :
-« Les Etats membres des Nations Unies et les partenaires internationaux ont promis d'allouer 5.3 milliards de dollars dans les deux prochaines années et un total de 9.9 milliards de dollars pour les trois prochaines années et au-delà. C'est la solidarité internationale en action. Aujourd'hui, nous avons mobilisé pour donner à Haïti et à son peuple ce dont il a le plus besoin : l'espoir pour un nouveau futur. » Voilà ce qu’a conclu le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, à l'issue des discussions.
-La Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Hillary Clinton, s’est exprimée en ces termes : « Aujourd'hui 48 pays, les institutions multilatérales et une coalition d'organisations non gouvernementales ont promis presque 10 milliards de dollars sur le long terme pour la reconstruction d'Haïti. C'est une somme impressionnante. ».
-René Préval a remercié la communauté internationale de la part des 9 millions de citoyens haïtiens en ces termes : « La communauté internationale a rempli son rôle. Maintenant c'est au peuple haïtien de remplir le sien. »
-Le Président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a proposé une division du travail entre les agences internationales afin d'éviter qu'elles ne se marchent sur les pieds. Il a aussi appelé à l'organisation d'une nouvelle conférence dans six mois pour faire le point.
-De son côté, le Directeur du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a estimé que le pays était en mesure de connaître un taux de croissance de 8% par an pendant les cinq prochaines années.
Certes, on ne peut pas ne pas être impressionné par une telle générosité. Cependant, il est à remarquer que le président de la Banque mondiale, a immédiatement donné la marche à suive. Ce seront les agences internationales qui vont gérer l’aide. A la nouvelle conférence annoncée dans 6 mois, c'est-à-dire en octobre prochain, on saura définitivement qui va faire quoi, pourquoi et comment. Un engagement d’une telle envergure, prés de 10 milliards de dollars, exige une gestion et une coordination complexe entre les différents éléments d’exécution des projets qui dépassent la capacité des acteurs que nous avons aujourd’hui au pouvoir. Les 23 membres de la CIRH, des proxys des bailleurs de fond, seront en charge de la gestion de ces fonds. En octobre 2010, au moment précis où la conférence annoncée par le président de la Banque mondiale se propose de faire le point, quelle sera la priorité pour Préval et son entourage, face aux intérêts des bailleurs de fond qui seront en train d’engager la matérialisation de ces projets ? A ce moment là, la confiscation des élections ne sera-t-elle pas pour Préval la priorité des priorités ? Réciproquement pour ceux qui assument la responsabilité de la mise en branle de toute une gamme d’énormes projets de reconstruction financés par l’internationale, accepteront-ils à céder le pas a la prépondérance des priorités de Préval ? Certes, les élections sont pour Préval et son entourage le jeton de la dernière chance. Cependant, pour ce que Préval offre comme patrimoine dans le domaine électoral, pendant ces 12 dernières années, et plus récemment en avril et en juin 2009, l’internationale acceptera-t-elle à prendre le risque de faire coïncider le lancement d’énormes projets d’avenir pour le pays avec l’incertitude d’une situation volatile d’éclatement de scandale d’élections confisquées et contestées gérées par Préval ?
Vu l’énormité des engagements, 9.9 milliards de dollars, les intérêts de l’internationale dans cette conjoncture, sont-ils plus enclins à maintenir la continuité, que la promotion et l’établissement « d’un nouveau futur pour Haïti » termes utilisés intentionnellement par le secrétaire général de l’ONU comme conclusion de son allocution à la conférence de mercredi dernier ? A moins que l’internationale veuille se trouver un prétexte pour ne pas tenir ses promesses en blâmant les troubles politiques comme raison de l’abandon des projets. Ou mieux encore, si l’élection est jugée incontournable, que les élections soient prises en charge par l’internationale pour garantir que leurs résultats soient en vérité l’expression réelle de la volonté générale. Dans ce cas et ce cas seulement, ces élections gérées par l’internationale peuvent être une voie vers la stabilisation politique.
Cependant dans les conditions où vivent les Haïtiens maintenant. L’état psychologique d’une nation vivant dans des conditions abjectes après ce cataclysme. Le besoin de faire un recensement qui date de 1982. Le retracé des circonscriptions pour garantir une représentativité équitable pour les députés. Le besoin après cette hécatombe de faire une inscription pour créer un nouveau registre électoral en lieu et place d’une mise à jour impossible faute d’identification des morts. Le besoin d’avoir de nouvelles cartes moins coûteuses que ceux que l’on a aujourd’hui. Le besoin d’établir des bureaux de vote de proximité basés sur le recensement, pour aider les analphabètes et augmenter leur participation etc. Bien que le calendrier constitutionnel soit formel sur la date des élections présidentielles. Prenant en considération cette longue liste de taches nécessaires à abattre pour garantir des élections plus ou moins descentes. Et le besoin fondamental de rompre avec cette longue tradition d’élections frauduleuses, qui sont la cause primordiale de l’instabilité politique et du maintien de la corruption. Ne serait-il pas mieux d’observer la date butoir du mandat présidentiel, pour fermer sans fracas le chapitre de la corruption et de l’incompétence. Et en suite s’atteler à abattre, aussi rapidement que possible, ces taches sous un régime intérimaire ?
Doit-on tenir compte de la déclaration du sénateur Christopher Dodd ? Certes, le succès de la conférence des bailleurs de fond à l’ONU et l’énormité des fonds promis pour la reconstruction d’Haïti, ont momentanément réduit la pertinence de la déclaration du sénateur. Cependant cette déclaration venant du Président du Sous-comité de l'hémisphère occidental de la Commission des relations étrangères du Sénat américain, on ne peut pas du revers de la main la jeter au rancart. C’est une déclaration faite par un officiel de haut rang dans un domaine qui relève de son autorité, à un moment qui lui donne sa pertinence. Voir l’article de Mary Beth Sheridan paru sur le Washington Post le mercredi 31 mars 2010, qui la corrobore. En outre, le timing de la déclaration le 29 mars avec la réunion aux Nations-Unies le 31 mars, est très significatif !
Les faits avancés comme argument pour supporter la recommandation du sénateur sont irréfutables. Cependant, pour arriver à une telle conclusion et recommander la mise sous tutelle, il faudrait aller au-delà d’un simple constat des faits, pour s’engager dans une analyse, pour avoir un recul historique suffisant, pour une vision, pas partielle, mais totale des circonstances qui ont contribué à créer cet état de fait. Beaucoup de choses y ont contribué !
« Le gouvernement haïtien, à toutes fins pratiques, n'existe pas. » a dit le sénateur. Cet état de fait ne date pas d’hier. Le fait qu’Haïti ne soit pas gouverné, n’est pas un secret pour les Haïtiens, de même que pour les observateurs étrangers, qui ne s’en doutent pas ! C’est l’explication du déclin de plus d’un demi-siècle, qui fait d’Haïti le pays le plus pauvre de l’hémisphère et classifiée parmi les pays les plus corrompus du monde. Est-ce que ce retour paradoxale au statu quo ante, celui de Préval au pouvoir au lendemain du reversement du régime lavalas dont il a été le 1er premier ministre et le 2e chef d’état, n’est pas pour satisfaire le besoin de revanche des altermondialistes tel que Kofi Annan et Juan Gabriel Valdès, humiliés par l’agression de George W. Bush venu à l’ONU justifier l’invasion de l’Irak accusé faussement d’être en possession d’armes de destruction massive ? Peut-on dire que pendant ce dernier demi-siècle que la nation haïtienne a eu les dirigeants qu’elle mérite ? Peut-on dire qu’elle soit à 100% responsable de son sort ? Ces deux régimes ayant le support absolu et total de l’internationale, pour se maintenir au pouvoir pendant plus d’un demi-siècle, soit pour prévenir l’expansion du communisme ou pour mettre fin au coup d’état militaire, ont fait manifestement usage de la violence, du népotisme et de la corruption provoquant ainsi un exode massif de 83% des intellectuels, des professionnels, des techniciens, des administrateurs etc. (rapport de la Banque mondiale)
Compte tenu du rôle prépondérant de l’internationale dans le déclin du pays pour satisfaire ses intérêts ponctuels, il y a-t-il lieu de prescrire sans appel la mise sous tutelle ? Ne serait-il pas mieux de réintégrer ce qui ont dû gagner l’exil et qui se sont éduqués à l’étranger dans les différents domaines qui font défaut à l’administration publique haïtienne et à ses institutions ? Qu’est-ce que la tutelle peut offrir de mieux qu’un encadrement technique d’Haïtiens éduqués dans les meilleures universités de renommée mondiale, ayant acquis de l’expérience dans les sociétés les plus avancées, ne pourra pas accomplir ?
Nonobstant, tout ce qui vient d’être dit. Il y a, à partir de la déclaration édulcorée du sénateur Christopher Dodd, une inquiétude citoyenne qui s’exprime comme suit :
Si le dysfonctionnement d’un tel gouvernement, irréfutablement antérieur au cataclysme, justifie la tutelle, ayant évidemment pour corollaire une conséquence aussi grave que la perte de la souveraineté, à quelle fin pratique la Minustah persiste-t-elle à le maintenir au pouvoir, causant continuellement avec le temps plus de dommage à la nation et à l’Etat, et lui permettre par surcroît d’organiser des élections pour nommer littéralement son successeur ? De quelle stabilité s’agit-il ?